Côte d’Ivoire : Le procès en appel du syndicaliste Ghislain Assy Duggary doit être équitable.

APPEL URGENT - L’OBSERVATOIRE
CIV 001 / 0525 / OBS 025
Enlèvement /
Harcèlement judiciaire /
Condamnation /
Détention arbitraire /
Restriction à la liberté d'association /
Restriction à la liberté syndicale
Côte d'Ivoire
13 mai 2025
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), vous prie d’intervenir sur la situation suivante en Côte d’Ivoire.
Description de la situation :
L'Observatoire a été informé de l’enlèvement, de la détention arbitraire et du harcèlement judiciaire de M. Ghislain Assy Yapo dit Duggary, instituteur et Secrétaire à la communication du syndicat « Mouvement des Enseignants pour la Dynamique de la Dignité » (MEDD) à Abidjan.
Dans la nuit du 2 au 3 avril 2025 à 1h00 du matin, M. Duggary a été enlevé à son domicile devant sa compagne et sa fille par quatre individus encagoulés qui se sont présentés comme des policiers mais l'ont interpellé sans mandat d’arrêt. Ces individus ont confisqué les portables de sa fille et de sa compagne ainsi que des documents appartenant à M. Duggary sans dresser de procès-verbal de perquisition.
Vers 2h00 du matin, M. Duggary a été conduit à la Préfecture de police d’Abidjan sans pouvoir informer ses proches de sa localisation. Aux alentours de 5h00 du matin, il a été interrogé sans avoir accès à un avocat pour l’assister, et sans avoir connaissance des charges pour lesquelles il avait été arrêté. Il a été maintenu à la Préfecture de police sans que la garde à vue ne lui soit signifiée. Le 3 avril 2025, le père de M. Duggary s’est rendu à la Préfecture de police pour lui rendre visite mais les agents de la Préfecture ont affirmé que son fils n’y avait jamais été détenu.
Le 4 avril, M. Duggary a été déféré devant le Procureur de la République d’Abidjan. Il a alors été autorisé à contacter sa famille et à être assisté d’un avocat. En présence de son avocat, on lui a notifié qu’il sera poursuivi selon la procédure de flagrant délit.
Le 8 avril 2025, M. Duggary a été présenté au Tribunal de première instance d’Abidjan qui l’a reconnu coupable de « coalition d’agents publics » (article 224 du Code pénal) et d’« entrave au fonctionnement des services publics de l’État » (article 269-277 du Code pénal) et l’a condamné à deux ans de prison ferme et un million de Francs CFA d’amende (environ 1 524 Euros). M. Duggary a été condamné bien que son avocat ait réclamé la nullité du procès-verbal de l’enquête préliminaire au vu des conditions dans lesquelles a été menée l’enquête et de l’enlèvement de M. Duggary, qui a violé plusieurs dispositions du Code de procédure pénale ivoirien, en particulier l’article 140 sur l’obligation de présenter un mandat pour interpeller l’intéressé, l’article 116 sur la nécessité de dresser un procès-verbal lors d’une perquisition et l’article 90 relatif au droit à l’assistance d’un avocat.
Le 9 avril 2025, M. Duggary a interjetté appel de sa condamnation et est resté détenu au Pôle pénitentiaire d’Abidjan, en attente de sa nouvelle audience.
Le 7 mai 2025, la Cour d’Appel d’Abidjan a prononcé sa remise en liberté provisoire avant l’audience sur le fond qui aura lieu le 11 juin 2025.
L’Observatoire constate que l’enlèvement, la précédente détention et la condamnation de Ghislain Duggary ne semblent viser qu’à le sanctionner pour ses activités légitimes de défense des droits sociaux-économiques. Le syndicat dont M. Duggary assure la communication, le MEDD, avait déposé un préavis de grève le 26 mars 2025, conformément à la législation en vigueur, pour une entrée en grève le 3 avril 2025. L’objectif était de réclamer le paiement d’une prime d’incitation pour les enseignant.es comme celle dont bénéficient les autres fonctionnaires ivoirien·nes. Le droit syndical et le droit de grève de M. Duggary, respectivement consacrés par les articles 23 et 24 de la loi n°2023-892 du 23 novembre 2023 portant Statut général de la Fonction Publique, ainsi que par l'article 18 de la Constitution ivoirienne, ont donc été violés lors de cette procédure.
En juillet 2024, le Comité des Nations unies contre la Torture avait exprimé sa vive préoccupation quant à l’absence de toutes les garanties juridiques fondamentales accordées aux personnes en détention dès le début de leur privation de liberté et l’usage fréquent de dispositions pénales pour réprimer les opinions dissidentes en Côte d'Ivoire.
L’Observatoire appelle les autorités de Côte d'Ivoire à cesser tout harcèlement judiciaire et intimidations à l’encontre de M. Duggary et de tou·tes les syndicalistes, dont le rôle de défense des droits des travailleur·ses est essentiel. Les autorités ivoiriennes doivent urgemment se conformer à la loi n°2014-388 du 20 juin 2014 relative à la promotion et à la protection des défenseurs en Côte d'Ivoire, dont l’article 5 dispose qu’aucun·e défenseur·e ne peut être poursuivi·e en raison d’opinions émises dans l’exercice de ses activités. M. Duggary doit pouvoir accéder à tous les recours juridictionnels et non-juridictionnels disponibles afin que la décision de sa condamnation puisse faire l’objet d’une révision équitable par un juge indépendant afin de favoriser son acquittement immédiat.
À l’approche des élections présidentielles en Côte d’Ivoire prévues pour octobre 2025, l’Observatoire s’alarme de la dangereuse tendance des autorités ivoiriennes à criminaliser les syndicats et les organisations de défense des droits humains. En ce sens, l'Observatoire appelle au retrait de l’ordonnance du 12 juin 2024 prévoyant la dissolution de toute organisation qui diffuserait des accusations contre les autorités. Cette ordonnance facilite le harcèlement judiciaire des défenseur·es qui dénoncent les abus et violations des droits humains perpétrés par le gouvernement. La Côte d'Ivoire doit garantir au plus vite un environnement sûr à l’exercice de la participation populaire et au dialogue social afin de permettre la tenue d’élections transparentes, justes et libres dans le pays, conformément à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
Actions requises :
L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités ivoiriennes en leur demandant de :
- Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Ghislain Assy Duggary, des membres de sa famille et de l’ensemble des syndicalistes et défenseur·es des droits humains en Côte d'Ivoire ;
- Tout mettre en œuvre pour que M. Ghislain Assy Duggary ait accès à tous les recours juridictionnels et non-juridictionnels disponibles afin que la décision de sa condamnation puisse faire l’objet d’une révision équitable par un juge indépendant afin d’annuler toutes les procédures judicaires à son encontre et prononcer son acquittement définif;
- Mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre de Ghislain Assy Duggary ainsi que de tou·tes les syndicalistes et défenseur·es des droits humains et veiller à ce qu’ils et elles puissent mener leurs activités légitimes en toutes circonstances, sans entraves ni crainte de représailles, conformément à la loi du 20 juin 2014 relative à la promotion et à la protection des défenseurs en Côte d'Ivoire et aux observations finales du Comité contre la torture ;
- Assurer le strict respect des droits et libertés fondamentales et en particulier garantir en toutes circonstances le respect de la liberté syndicale et du droit de grève, tels que garantis par la loi du 23 novembre 2023 portant Statut général de la Fonction Publique et par la Constitution ivoirienne.
Adresses :
- S.E. Alassane Ouattara, Président de la République, X : @Aouattara_PRCI
- M. Robert Beugré Mambé, Premier Ministre, X : @Gouvci / @primatureci
- Mme Kandia Kamissoko Camara, Ministre des affaires étrangères, Email : [email protected], X : @Kandiacamara_Of
- M. Jean Sansan Kambile, Garde des sceaux, Ministre de la Justice et des droits de l’Homme, X : @KambileSansan / @minjustice_dh
- Mme Aimée Zebeyoux, Secrétaire d’État auprès du Garde des sceaux, Ministre de la Justice et des droits de l’Homme, chargée des droits de l’Homme, Email : [email protected] / [email protected] ; X : @sedhci
- Mme Namizata Sangare, Présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), X : @NamizataSangare
- S.E. Adjoumani Kouadio, Ambassadeur, Représentant de la Côte d’Ivoire auprès des Nations unies à Genève, Suisse, Email : [email protected]
- S.E. Abou Dosso, Ambassadeur, Représentant de la Côte d’Ivoire auprès de l’Union européenne à Bruxelles, Belgique, Email : [email protected]
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la Côte d'Ivoire dans vos pays respectifs.
***
Genève-Paris, le 13 mai 2025
Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.
L’Observatoire partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseur·es des droits humains victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseur·es des droits humains mis en œuvre par la société civile internationale.
Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence :
· E-mail : [email protected]
· Tel FIDH : +33 1 43 55 25 18
· Tel OMCT : + 41 22 809 49 39.